Entretien avec Aitor Zuberogoitia, titulaire de la Chaire en études basques 2024
Bienvenue à Aitor Zuberogoitia, nouveau titulaire de la Chaire en études basques!
Il séjournera à Montréal du 7 au 21 octobre 2024Ìýpour discuter de transformations sociales et de transdisciplinarité dans les ville, d'usage de langues minoritaires en contexte urbain, et des relations entre médias sociaux et langues minoritaires.
, docteur en journalisme (EHU-UPV), est professeur associé à la Faculté des sciences humaines et de l'éducation de l' et cocoordonateur du diplôme en sciences humaines numériques globales. Il enseigne également la communication audiovisuelle à l'Université de Mondragon. Ses principaux domaines de recherche sont l'enseignement supérieur et l'innovation, l'éthique de la communication, la communication et la citoyenneté, la jeunesse et la société numérique, et les médias en langues minoritaires.
Votre parcours universitaire combine les disciplines des sciences humaines, de la technologie et des questions sociales. Qu'est-ce qui vous a initialement attiré à explorer ces domaines interconnectés dans vos travaux universitaires?
J'ai une formation en journalisme, d'abord en tant que journaliste puis en tant qu'universitaire. Il y a quelques années, notre faculté a entamé une réflexion et a décidé qu'il était nécessaire de lancer un nouveau programme de baccalauréat en sciences humaines adapté à cette nouvelle ère, caractérisée par un monde global interconnecté, des technologies numériques et une urbanisation croissante. À cette fin, j'ai participé à des cours sur les villes éthiques, l'éthique dans le développement durable, l'anthropologie urbaine, l'ethnographie numérique et les objectifs de développement durable (ODD).
Simultanément, nous avons commencé à analyser les différentes tendances dans le monde des sciences humaines, les programmes universitaires innovants, et avons découvert des mouvements tels que les sciences humaines expérientielles, les sciences humaines en action ou les rapports du réseau GUNI (Global University Network for Innovation). Tous pointaient dans la même direction: des sciences humaines situées, qui analysent les problèmes de leur territoire et qui interagissent avec des acteurs sociaux au-delà de l'université pour contribuer au développement de leur environnement et relever nos défis civilisationnels en combinant les sciences sociales et les sciences humaines avec la pensée conceptuelle et les technologies numériques.
Étant donné votre expertise en sciences humaines numériques, que pensez-vous de l'évolution du rôle de la technologie dans le paysage éducatif?
Les sciences humaines numériques ont connu deux vagues importantes. La première vague s'est concentrée sur la numérisation des textes et la création d'archives numériques, rendant les ressources traditionnelles en sciences humaines plus accessibles et consultables. La deuxième vague a mis l'accent sur l'utilisation de méthodes et d'outils informatiques, tels que l'exploration de données, l'analyse de texte et la cartographie numérique, pour analyser de grands ensembles de données et déceler de nouvelles perspectives dans le domaine des sciences humaines.
Dans cette deuxième vague, la conception centrée sur l'humain et les approches de participation citoyenne appelées «laboratoires sociaux» (social labs) prennent une importance particulière, en travaillant de manière collaborative sur la base des besoins réels soulevés par différents groupes sociaux. C'est là où nous en sommes. Maintenant, nous faisons face à un autre défi très important, qui n'est autre que d'apprendre à intégrer correctement l'IA dans nos projets de recherche et d'enseignement.
Vos recherches ont porté sur l'utilisation de la langue basque sur les plateformes de médias sociaux comme TikTok. Sur la base de vos observations, que pouvez-vous nous dire sur l'état actuel de la langue basque sur les médias sociaux et son attrait potentiel pour le jeune public?
Nous avons mené plusieurs projets de recherche axés sur l'utilisation des réseaux sociaux par les jeunes. Les résultats montrent que les attitudes des adolescent.e.s basques ressemblent à celles que l'on retrouve dans des études récentes menées dans les pays occidentaux, indiquant la même prédisposition à des identités orientées vers l'extérieur. La recherche de divertissement et le sentiment d'appartenance à une culture adolescente numérique/communauté virtuelle apparaissent également comme des moteurs clés pour eux.elles.
Dans le cas de la plateforme TikTok, les tiktokers basques font preuve d'un fort engagement envers la langue basque et aspirent à lui donner une place de choix sur TikTok. Cependant, leurs efforts sont limités par le nombre restreint d'utilisateur.trice.s-locuteur.trice.s basques sur la plateforme. Par conséquent, les motivations identifiées dans nos études ne garantissent pas un impact significatif sur la communauté ni ne transforment TikTok en un outil puissant pour la promotion de la langue basque. Il est nécessaire de combiner cet engagement des utilisateur.trice.s avec des politiques visant à promouvoir des initiatives en basque sur internet, comme cela a été fait dans le cas de Wikipédia, grâce auquel Wikipédia en langue basque compte plus de 433 000 entrées et se classe au 33e rang du classement des langues en nombre d'articles publiés dans l'encyclopédie en ligne.
Avez-vous exploré les inconvénients potentiels des médias sociaux et leur contribution possible à l'attrition linguistique, en particulier pour les langues minoritaires comme le basque?
Étant donné que la recherche de divertissement et le sentiment d'appartenance à une culture adolescente numérique/communauté virtuelle sont les principaux moteurs de la participation aux réseaux sociaux, les langues minoritaires sont désavantagées. En effet, la quantité de contenu disponible est beaucoup plus importante (et produite avec beaucoup plus de moyens) dans les langues majoritaires. De plus, de jeunes utilisateur.trice.s basques ont reçu des commentaires qui remettent en question leur choix d'utiliser le basque, avec des remarques désobligeantes leur suggérant de parler une langue plus répandue comme l'espagnol. Ces expériences mettent en lumière les défis auxquels sont confrontés les adolescent.e.s qui produisent du contenu en basque. Ils.elles font face à l'hostilité et aux préjugés basés sur leur préférence linguistique.
Cependant, on peut aussi travailler sur ces questions en classe. Une étude que nous avons menée pendant quatre ans a montré que l'expérience de création de contenu en basque sur Wikipédia et la découverte concrète des mécanismes de crédibilité de l'encyclopédie en ligne en langue basque ont conduit la majorité des étudiant.e.s à considérer que leur perception de la crédibilité de Wikipédia avait augmenté. Ils.elles ont également reconnu qu'il existait un volume d'informations en basque plus important qu'ils.elles ne le pensaient et un groupe de contrôle de la qualité qu'ils.elles ne soupçonnaient pas.
Pendant votre séjour à l'Université ÎÛÎÛ²ÝÝ®ÊÓƵ, quelles connaissances ou expériences clés espérez-vous partager avec les étudiants et la communauté montréalaise au sens large?
Tout d'abord, j'aimerais partager quelques idées et réflexions sur l'avenir des sciences sociales et humaines et les défis auxquels elles sont confrontées. Ensuite, en tant que membre d'une université particulière, une université coopérative faisant partie du mouvement coopératif de Mondragon, j'aimerais également partager des informations sur ses origines et ses objectifs, ainsi que sur la façon dont l'université a essayé d'aborder et d'adapter son activité aux environnements urbains (elle est née dans une zone semi-rurale), en créant un campus pluridisciplinaire où se trouve le programme de baccalauréat en sciences humaines numériques globales (dans ce programme, le concept d'«UniverCité» a également été développé, et, en ce sens, je suis très intéressé par la façon dont le CRIEM interagit avec la ville de Montréal d'un point de vue pluridisciplinaire).
J'aimerais également parler du concept de villes éthiques, en accordant une attention particulière à l'inclusion, à la durabilité et à la gouvernance ouverte. Enfin, en tant que représentant d'une culture et d'une langue minoritaires, j'aimerais parler de la place qu'elles occupent toutes deux dans nos environnements citoyens et des voies de développement possibles qu'elles peuvent avoir.
En prévision de votre prochaine résidence en tant que titulaire de la Chaire Elvira-Zipitria à l'Université ÎÛÎÛ²ÝÝ®ÊÓƵ, quels aspects de l'environnement montréalais, qu'ils soient académiques ou culturels, êtes-vous le plus impatient de découvrir?
Comme je l'ai déjà mentionné, je suis très impressionné par l'approche du CRIEM, sa façon d'interagir avec la ville d'un point de vue pluridisciplinaire. Je suis également intéressé par le fait que Montréal soit la ville la plus peuplée du Québec, car je souhaite en savoir plus sur les initiatives menées dans cette région pour préserver son identité et sa langue (qui est en même temps une langue d'État en Europe). Et bien sûr, la richesse de son activité culturelle et ses magnifiques sites et paysages m'attirent beaucoup.
En quoi pensez-vous que votre expérience à l'Université ÎÛÎÛ²ÝÝ®ÊÓƵ contribuera à vos futurs travaux et recherches à l'Université de Mondragon?
J'aimerais retirer de mon expérience une série d'enseignements et de références sur l'interaction université-ville d'un point de vue pluridisciplinaire. J'aimerais également en apprendre davantage sur les projets de recherche sur lesquels le CRIEM a travaillé et explorer des pistes de collaboration possibles (que ce soit dans le cadre de projets ou de la préparation d'articles) avec nos recherches au Pays Basque en relation au rôle des sciences humaines dans la promotion de la recherche-action et de la coopération durable entre les acteurs impliqués dans les écosystèmes d'innovation urbaine (en accordant une attention particulière à la perspective des minorités).
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