Mordue depuis toujours d’ – l’étude des reptiles et des amphibiens ou, comme elle le dit si bien, des « trucs qui vivent dans la boue » –, la biologiste Jessica Ford a poursuivi sa passion contre vents et marées.
« Du primaire à mes études universitaires de premier cycle, j’ai entendu des choses comme “Tu devrais peut-être aller dans un autre domaine”, “Peut-être que tu ne devrais pas faire ça”, “La science, ce n’est peut-être pas pour toi” ».
« Si tu veux saper la confiance en soi d’une personne, dis-lui sans détour qu’elle devrait envisager de changer de domaine », lance la scientifique.
Sourde Ă ces conseils, Jessica ne s’est pas laissĂ©e dĂ©tourner de son objectif, de cette voie « bizarre pour une fille ». N’écoutant que son entĂŞtement et sa passion pour la science et l’écologie, et forte de l’appui de ses amis et de sa famille, elle a foncĂ© droit devant et est aujourd’hui doctorante au MusĂ©e Redpath de l’UniversitĂ© ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ.
La diversité passe par une juste représentation
Ayant réussi à faire son chemin dans un domaine traditionnellement masculin, Jessica cherchait un moyen de faire contrepoids aux commentaires susceptibles de démotiver « les autres petites Jessica de ce monde ». En 2017, elle a répondu à l’appel de Charles Xu, lui aussi doctorant au Musée Redpath, qui souhaitait faire de la sensibilisation sur les questions d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) dans les STIMM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques et médecine).
NĂ© Ă Wuhan, Charles a grandi dans le Midwest amĂ©ricain et a Ă©tudiĂ© dans des universitĂ©s des États-Unis, d’Europe et d’Asie avant d’entreprendre un doctorat en biologie Ă l’UniversitĂ© ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ, en 2016. Vers la fin de son secondaire, il a vĂ©cu une belle expĂ©rience de mentorat qui l’a confortĂ© dans sa dĂ©cision d’étudier en sciences.
« Je suis allé dans un camp de biologie à l’intention des minorités sous-représentées organisé par l’Université de l’Indiana à Bloomington, puis pendant l’été qui a précédé ma première année d’université, j’ai fait de la recherche, raconte-t-il. J’habitais dans la ville où se trouvait l’université, et un étudiant aux cycles supérieurs m’a vraiment pris sous son aile. »
« En fait, les Asiatiques sont généralement surreprésentés dans les STIMM, mais pas dans les domaines de l’écologie et de l’évolution, où ils sont nettement sous-représentés. »
Le Musée Redpath, là où convergent tradition et idées neuves
Après avoir participĂ© Ă un atelier sur l’EDI animĂ© par Imogen Coe, professeure de biologie et de chimie Ă l’UniversitĂ© Ryerson, et Dawn Bazely, professeure de biologie Ă l’UniversitĂ© York, Charles a commencĂ© Ă envisager divers projets avec des compagnes et compagnons d’études. C’est ainsi qu’il a lancĂ© DiversitĂ© STIMM @ ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ avec Jessica et plusieurs autres Ă©tudiants. Première activitĂ© de l’équipe : une exposition, au MusĂ©e Redpath, sur les scientifiques mcgillois issus de groupes sous-reprĂ©sentĂ©s.
Le Musée Redpath est un véritable écrin de l’époque victorienne abritant des spécimens d’histoire naturelle et des artefacts culturels tirés des collections de Sir John William Dawson. Voilà un cadre qui peut sembler bien incongru pour la diffusion d’idées résolument actuelles sur la diversité en sciences.
« Le Musée Redpath est un endroit formidable, que j’adore, précise Charles. Mais en entrant dans cet édifice de style victorien tout ce qu’il y a de plus classique, on peut voir d’un côté un portrait géant de Peter Redpath et de l’autre, des portraits de gens comme Thomas Huxley et Charles Darwin, des scientifiques du xixe siècle qui ne sont pas nécessairement représentatifs des scientifiques qui œuvrent dans le musée de nos jours », poursuit-il.
Ajoutons à cela que le musée est également (ou du moins était, avant la pandémie) un lieu où défilent quotidiennement des visiteurs et qui accueille chaque année des dizaines de milliers d’écoliers; Charles et son équipe ont vu là l’occasion rêvée de faire découvrir à ce public des scientifiques contemporains issus de la diversité.
« Partout dans le musée, nous avons installé de grandes bannières pour que les jeunes visiteurs puissent s’identifier à ces gens-là et s’imaginer être eux-mêmes, un jour, les acteurs de cette science qu’ils sont venus étudier ici », lance Charles.
Cette exposition est aujourd’hui une installation permanente; des écrans tactiles permettent aux visiteurs de visionner des entrevues avec d’éminents scientifiques mcgillois, notamment et , qui relatent leur parcours professionnel et parlent des obstacles qui, encore aujourd’hui, se dressent devant les aspirants scientifiques.
Par ailleurs, Jessica a conçu un livre à colorier qui présente aux jeunes enfants des scientifiques issus de groupes sous-représentés et dont l’apport aux STIMM est digne de mention.
« Pour moi, il n’y a pas grand-chose de plus motivant que de voir une personne à laquelle je peux m’identifier qui fait ce que j’ai envie de faire », souligne-t-elle.
« [Je voulais proposer aux enfants] quelque chose qui allait les interpeller fortement et leur montrer que la science, c’est pour toutes sortes de personnes. Nous sommes tous différents, et tu as ta place dans cet univers-là . »
Soif de changement
Dans son Plan stratĂ©gique en matière d’équitĂ©, de diversitĂ© et d’inclusion 2020-2025, l’UniversitĂ© ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ s’engage « Ă contrecarrer les effets persistants des injustices commises par le passĂ©, lesquelles continuent de compromettre l’égalitĂ© d’accès Ă la communautĂ© mcgilloise et des chances de rĂ©ussite dans cette communautĂ© ».
Pour Jessica, DiversitĂ© STIMM @ ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ et les autres initiatives du genre sur le campus tĂ©moignent de la soif de changement qui tenaille l’effectif Ă©tudiant Ă ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ. Si l’on en juge par les efforts qu’elle et ses compagnons d’études ont dĂ©ployĂ©s, il est Ă©vident que ce vent de changement est d’abord et avant tout le fait d’étudiants dynamiques fermement rĂ©solus de s’investir pour faire de l’UniversitĂ© un lieu plus accueillant.
« Ce n’est pas pour rien que DiversitĂ© STIMM est lĂ , fait observer Jessica. Il y a des enjeux d’EDI tenaces Ă ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ. »
Nous voulons dire aux nouveaux étudiants : « Tu vas marcher dans les pas de personnes qui ont dû surmonter des difficultés et tu dois être à l’affût de ces enjeux-là », renchérit Charles.
« Notre objectif, poursuit-il, est d’amener les étudiants à prendre conscience de ces difficultés, puis de les aider à les vaincre. Nous voulons également qu’ils sachent que d’autres avant eux ont éprouvé exactement les mêmes sentiments et qu’ils peuvent compter sur ces personnes-là pour les épauler. »
En 2021, le groupe s’est rapproché de son objectif en mettant en place un pour jumeler des étudiants au premier cycle de la Faculté des sciences à des étudiants aux cycles supérieurs.
Des efforts récompensés
Le travail de Charles, de Jessica et de leurs collègues n’est pas passĂ© inaperçu Ă l’UniversitĂ©. En effet, DiversitĂ© STIMM a remportĂ© un des en 2018, et un l’annĂ©e suivante. Cette annĂ©e, l’Association des diplĂ´mĂ©s de ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ a honorĂ© Jessica en lui dĂ©cernant le , saluant les efforts qu’elle dĂ©ploie pour « changer l’image que les gens se font des scientifiques ».
Les initiatives d’EDI sont maintenant de plus en plus nombreuses Ă ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ, et pas uniquement Ă la FacultĂ© des sciences; en effet, plusieurs dĂ©partements ont constituĂ© un comitĂ© vouĂ© Ă l’EDI, et la FacultĂ© des sciences a son comitĂ© sur l’équitĂ© et le climat de travail (le SECC, selon l’acronyme anglais). Selon Laura Nilson – fondatrice du SECC, professeure de biologie, vice-doyenne aux cycles supĂ©rieurs Ă la FacultĂ© des sciences et responsable facultaire de l’EDI –, les initiatives Ă©tudiantes sont absolument essentielles pour l’atteinte des objectifs d’EDI de l’UniversitĂ©.
« Nous ne le dirons jamais assez : les groupes comme Diversité STIMM sont d’une valeur inestimable, affirme la professeure. Ils sont sur le terrain et sont donc aux premières loges pour prendre acte des difficultés que vit la communauté étudiante; c’est pourquoi leur apport est si précieux pour orienter nos actions collectives en faveur de l’EDI. »