« Enseigner aux penseurs Ă penser – voilĂ une notion essentielle Ă une Ă©poque qui Ă©chappe Ă la logique; ce sont les personnes promises au plus grand destin qu’il faudra former le plus rigoureusement Ă la pensĂ©e juste. » En 1903, dans son recueil d’essais Les âmes du peuple noir, l’universitaire et militant pour les droits civiques W. E. B. Du Bois cherche Ă trouver sa place – la sienne et celles des autres Afro-amĂ©ricains – dans une sociĂ©tĂ© toujours plus discriminatoire et sĂ©grĂ©gationniste. Ses paroles trouvent encore un Ă©cho aujourd’hui, alors que nous soulignons le Mois de l’histoire des Noirs ainsi que le Nouvel An lunaire, cĂ©lĂ©brĂ© dans la culture chinoise et de nombreuses autres cultures asiatiques.Â
Ă€ plusieurs Ă©gards, W. E. B Du Bois a prĂ©parĂ© le terrain pour l’antiracisme et l’empathie radicale auxquels nous aspirons aujourd’hui. Des penseurs contemporains comme , ou visent Ă transcender de manière proactive les divisions socioĂ©conomiques et politiques perpĂ©trĂ©es par les structures, le racisme systĂ©mique et le système de castes moderne.Â
Comment pouvons-nous – en enseignement supĂ©rieur – combattre le racisme et l’oppression vĂ©cus sur toute une vie humaine? Du Bois nous rĂ©pondrait que « l’universitĂ© n’a pas pour seule fonction la prĂ©paration au marchĂ© du travail […]; elle doit, avant tout, ĂŞtre au service du fin rĂ©glage entre la vraie vie et l’approfondissement des connaissances de la vie ». Il plaide Ă©galement qu’« une telle formation nous condamnerait Ă encourager les prĂ©jugĂ©s qui protègent la sociĂ©tĂ© […] ». Du Bois rĂ©clame un enseignement supĂ©rieur qui s’érige au-delĂ de l’acquisition de compĂ©tences pour prĂ©parer l’humanitĂ© Ă une pensĂ©e plus globale dans le but d’éradiquer les iniquitĂ©s sociales, Ă©conomiques et politiques, sans toutefois nĂ©gliger l’importance et la valeur de la diffĂ©rence culturelle. Comme ma collègue de ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ, la Pre Terri Givens, et d’autres l’ont remarquĂ©, de nos jours, les « relations sociales sont brisĂ©es » (Givens, 2020, p. 35) et nĂ©cessiteraient ce que Du Bois appelle une « chirurgie sociale » : un travail dĂ©licat, difficile, mais non moins gratifiant. Et ce travail implique un apprentissage continue.Â
Il ne faut pas oublier que les concepts de « race et de racisme sont des construits modernes du pouvoir » (Kendi, 2019, p. 238). Ce n’est que relativement rĂ©cemment que les humains ont pris conscience de ces idĂ©es apparues il y a quelques centaines d’annĂ©es seulement. Ainsi nous pouvons et devons aussi les dĂ©sapprendre. Kendi et Wilkerson ont fait des analogies entre racisme et classisme, et maladies; que ce soit le cancer (Kendi) ou une manifestation de la pandĂ©mie de coronavirus actuelle (Wilkerson), qui, aux États-Unis, a frappĂ© de manière disproportionnĂ©e les personnes de descendance africaine, asiatique et latino-amĂ©ricaine, par exemple. En règle gĂ©nĂ©rale, une maladie peut ĂŞtre endiguĂ©e, jugulĂ©e et mĂŞme Ă©radiquĂ©e.Â
W. E. B. Du Bois doit sa notoriĂ©tĂ© Ă sa rigueur, Ă son sens aigu de l’observation et Ă son argumentation fondĂ©e sur des donnĂ©es probantes. Il a documentĂ© rigoureusement ce qu’il a vu et entendu, et a formĂ© d’autres personnes Ă faire la mĂŞme chose. Il a questionnĂ© les idĂ©es reçues sur ce que cela veut dire d’être Noir ou Blanc, et a continuĂ© d’apprendre et d’affiner sa comprĂ©hension de ses observations et expĂ©riences tout au long de sa vie. Dynamisme, formation fondĂ©e sur les donnĂ©es probantes, analyse critique et mentorat : son exemple nous illustre les Ă©lĂ©ments clĂ©s d’une formation continue couronnĂ©e de succès.Â
Nous nous heurtons aujourd’hui Ă des milliers de situations qui Ă©chappent Ă la logique – qu’elle concerne le virus, les institutions dĂ©mocratiques, la paix et la sĂ©curitĂ© ou cet Ă©trange concept que nous appelons la race. Je nous mets au dĂ©fi de cultiver notre rigueur et notre pensĂ©e critique en classe comme Ă l’extĂ©rieur, et Ă agir pour combattre les inĂ©galitĂ©s, qui autrement sont aisĂ©ment perpĂ©tuĂ©es et propagĂ©es par des comportements non rĂ©flĂ©chis et des institutions sans cĹ“ur.Â
En ce début d’année du tigre d’eau, selon le zodiaque chinois, inspirons-nous du courage et de la force de cet animal pour combattre le mal, mais également pour paver la voie à l’espoir et à la conscience de soi.