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Basquiat, le hip-hop et l’envers du rĂ©cit

Image by Riding with Death de J.M. Basquiat (Fondation Vuitton, Paris) by dalbera .

Le MusĂ©e des Beaux-Arts de MontrĂ©al nous offre une exposition consacrĂ©e Ă  Jean-Michel Basquiat, artiste multidisciplinaire et multiculturel pour qui l’art est un contre rĂ©cit et, surtout, une demande de justice.Ìę

NĂ© Ă  New York en 1960, d’une mĂšre portoricaine peintre Ă  ses heures et d’un pĂšre haĂŻtien comptable, l’artiste multiculturel qu’était Basquiat est mort en 1988. La briĂšvetĂ© de sa vie n’a aucune commune mesure avec l’ampleur de son legs artistique et social.Ìę

Artiste noir dans un monde eurocentrique, ses multiples origines ont confĂ©rĂ© Ă  son Ɠuvre, ancrĂ©e dans la sociĂ©tĂ© new-yorkaise des annĂ©es 1980, une grande originalitĂ©. Il a su alchimiser tant son hĂ©ritage que son expĂ©rience d’homme noir dans une sociĂ©tĂ© capitaliste oĂč le racisme sĂ©vissait. Son Ɠuvre est inĂ©vitablement indissociable de l’histoire collective.Ìę

Pour Annina Nosei, premiĂšre marchande d’art Ă  reprĂ©senter Jean-Michel Basquiat, ses Ɠuvres avaient un lien puissant avec la sociĂ©tĂ© new-yorkaise. Elle : « Ce que j’ai vu dans le travail de Jean-Michel, c’était une force incroyable en relation directe avec sa vie et la façon dont il s’intĂ©grait, ou pas, Ă  la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine des annĂ©es 1980 en tant qu’artiste afro-amĂ©ricain. Son travail avait un lien avec les problĂšmes sociaux et raciaux. Jean-Michel Ă©tait brillant. Il savait tout. Lorsque je l’ai rencontrĂ©, il n’avait que dix-neuf ans
 et il avait tout lu. »Ìę

Basquiat fut le tĂ©moin de nombreuses luttes raciales. Alors qu’il n’avait que sept ans en 1967, les Black Panthers pĂ©nĂ©traient dans le Capitole de l’État de Californie, rĂ©clamant le droit Ă  l’autodĂ©fense pour contrer les brutalitĂ©s policiĂšres. En 1968, Martin Luther King Ă©tait assassinĂ©, moment pivot qui a mis un terme aux espoirs de justice raciale. Basquiat n’avait que 17 ans lorsque la sĂ©rie Racines est tĂ©lĂ©diffusĂ©e. C’est dans ce creuset racial que ses Ɠuvres ont vu le jour.Ìę

Selon , qui a partagĂ© sa vie pendant quelques annĂ©es, la vie de Jean-Michel Ă©tait teintĂ©e par le racisme. Durant les annĂ©es 1980, ayant 5000 $ en poche, il ne pouvait pas obtenir un taxi Ă  New York ni entrer dans les restaurants que frĂ©quentaient ses amis.Ìę

Peindre les rĂ©cits effacĂ©sÌę

L’objectif que Basquiat s’est fixĂ© dĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre? Que les Noir·es soient reprĂ©sentĂ©s dans l’histoire et dans les musĂ©es.Ìę

À la mĂȘme pĂ©riode, les juristes noirs, constatant les incapacitĂ©s du systĂšme lĂ©gal et judiciaire Ă  contrer le racisme et Ă  reconnaitre les consĂ©quences du racisme systĂ©mique, ont dĂ©veloppĂ© la Critical Race Theory (CRT).Ìę

La CRT donne un cadre d’analyse qui permet de comprendre les dynamiques sociales en tenant compte du pouvoir, du racisme et des interactions des diverses oppressions. Ce cadre permet d’examiner les consĂ©quences de pratiques inĂ©galitaires ou encore des pratiques qui sont d’apparence neutre, mais qui dĂ©savantagent les personnes noires alors qu’elles privilĂ©gient les membres du groupe dominant. Pour ce faire, la CRT remet en question les fondements de la sociĂ©tĂ© en utilisant notamment les rĂ©cits.Ìę

Basquiat remettait tout en question, position qu’il partage avec les thĂ©oriciens de la CRT. Il essayait constamment de voir la vĂ©ritĂ© en tenant compte du vĂ©ritable contexte historique tout en tenant compte de sa propre expĂ©rience d’homme noir dans la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine et dans le milieu de l’art. Cette remise en question historique Ă©tait l’angle qu’il valorisait lorsqu’il apprĂ©hendait l’art.Ìę

Les Ɠuvres de Basquiat sont des rĂ©cits qui mettent en Ă©vidence certains schĂ©mas sociaux en dĂ©voilant des parties occultĂ©es de la rĂ©alitĂ© vĂ©cue par ceux dont la sociĂ©tĂ© tait la voix. Par son Ɠuvre, Basquiat articule ce que signifie ĂȘtre noir en AmĂ©rique. Il nous parle aussi du racisme qu’il a vĂ©cu et des dynamiques raciales. Il partage les expĂ©riences des Noir·es nous rendant tĂ©moins des oppressions vĂ©cues dans des relations de pouvoirs asymĂ©triques.Ìę

En nous forçant Ă  devenir tĂ©moins des horreurs de la colonisation et du racisme dont les corps noirs portent le poids, Basquiat dĂ©nonçait la discrimination, les micros et les macros agressions. Basquiat expose que les Noir·es sont Ă  la dĂ©rive, Ă©tranger·Úres Ă  la sociĂ©tĂ© qui les maltraite et les exploite.Ìę

Ses peintures et ses dessins sont parsemĂ©s de signes, de mots et de symboles. Son Ɠuvre nous force Ă  reconsidĂ©rer les limites de la peinture et nous oblige de nous pencher sur l’utilisation simultanĂ©e du langage, de l’image, de la littĂ©rature, de la musique. Ces multiples moyens de communication ouvrent la porte Ă  des interprĂ©tations complexes de son Ɠuvre, en dĂ©voilant des rĂ©alitĂ©s sociales insoupçonnĂ©es – et cela, sans compter que Basquiat jouait avec les multiples sens des mots.ÌęÌęÌę

Ainsi, ses Ɠuvres rĂ©tablissent un Ă©quilibre historique, en faisant entendre les voix et les expĂ©riences des Noir·es afin que leurs rĂ©cits (narrations) et contre-rĂ©cits soient considĂ©rĂ©s et qu’ils fassent partie de l’histoire universelle.Ìę

Basquiat et le hip-hop : l’art des margesÌę

L’univers de Basquiat Ă©tait saturĂ© de musique, comme . Il faisait partie des artistes qui ont innovĂ© et c’est ainsi qu’il a cĂŽtoyĂ© des artistes du hip-hop.Ìę

En 1981, il apparaĂźt aux platines dans la premiĂšre vidĂ©o de rap diffusĂ©e sur MTV, « Rapture » de Blondie. En 1983, alors que MTV expose le hip-hop au monde en prĂ©sentant le film Wild Style de Fab Five Freddy, ce dernier avait orchestrĂ© des Ă©vĂ©nements oĂč Basquiat Ă©tait aux cĂŽtĂ©s d’artistes hip-hop, faisant ainsi entrer en collision les arts et la musique.Ìę

Basquiat « Ă©tait toujours Ă  l’extĂ©rieur tout en Ă©tant l’initiĂ© ultime », . « C’est le lien que je pense qu’il aurait avec le hip-hop, et la notion de devoir le faire soi-mĂȘme [do it yourself]. Parce que vous ĂȘtes un “outsider”, vous ne serez pas reconnu par les institutions ou les industries. [Vous ĂȘtes] en train de le crĂ©er vous-mĂȘme, de crĂ©er votre propre marchĂ© et de crĂ©er votre propre situation et systĂšme, devenant producteur de votre propre travail. Et cet esprit d’indĂ©pendance et de rĂ©sistance aux systĂšmes restrictifs et racistes qui veulent maintenir le statu quo, c’est ce que Basquiat en est venu Ă  symboliser aprĂšs sa mort. »Ìę

Pour Paul Butler auteur de Let’s Get Free : A Hip-Hop Theory of Justice, professeur de droit au Georgetown University Law Center et ancien procureur, afin que la justice soit tangible et qu’une vĂ©ritable transformation voit le jour, il faut donner une voix Ă  ceux qui sont victimes d’injustice : et c’est que fait la culture hip-hop, qui est en elle-mĂȘme une demande de justice, affirme-t-il.Ìę

De mĂȘme, Basquiat Ă©tait conscient que « les inĂ©galitĂ©s vĂ©cues par les acteurs conduisent Ă  un pouvoir historique inĂ©gal [
] Les sources historiques sont ainsi des vecteurs d’inclusion, dont l’autre face est, bien sĂ»r, ce qui en est exclu », comme l’écrit Michel Rolph Trouillot dans Silencing the Past.Ìę

Seul Basquiat sait quel investissement Ă©motif l’exposition et la dĂ©nonciation du racisme lui ont demandĂ© au porteur du « fardeau narratif » : fatigue raciale et autres problĂšmes de santĂ© mentale, comme l’anxiĂ©tĂ© ou la dĂ©pression.Ìę

L’Ɠuvre de Basquiat tĂ©moigne de la solitude existentielle des hommes noirs Ă  un degrĂ© si tragique qu’il nous force Ă  nous demander sans justice sociale, est-ce que la fraternitĂ© est encore possible?Ìę


Me Tamara Thermitus Ad. E.Me Tamara Thermitus Ad. E.,Ìę

Me Thermitus Ad.E. est chercheuse invitĂ©e au Centre des droits de la personne et du pluralisme juridique de ÎÛÎÛČĘĘźÊÓÆ”. Elle a Ă©tĂ© admise au Barreau du QuĂ©bec en 1988 et dĂ©tient une maĂźtrise en droit (2013) de l'UniversitĂ© ÎÛÎÛČĘĘźÊÓÆ” portant sur les droits de la personne. Elle a Ă©tĂ© directrice des politiques et de la planification stratĂ©gique pour le Bureau de rĂšglement des questions des pensionnats indiens (2004-2006) et nĂ©gociatrice en chef pour le gouvernement fĂ©dĂ©ral de la Commission de vĂ©ritĂ© et de rĂ©conciliation.ÌęÌę

Titulaire de la mĂ©daille du jubilĂ© de la Reine Elizabeth (2012), Me Thermitus Ad.E. a reçu de nombreux prix dont le MĂ©rite du Barreau du QuĂ©bec (2011), premiĂšre avocate noire Ă  recevoir cette reconnaissance.Ìę

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