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Venise, la COP15 et les droits de la personne

La confĂ©rence COP15 qui a eu lieu Ă  MontrĂ©al en novembre 2022 Ă©tait un moment opportun pour rĂ©flĂ©chir sur les dimensions multiples de la crise environnementale. Dans cet article, Me Tamara Thermitus discute des liens entre le capitalisme, la destruction de la biodiversitĂ© et les droits des personnes les plus vulnĂ©rables. Loin d'ĂȘtre des problĂšmes isolĂ©s, ce n'est qu'en adoptant une approche holistique que nous pourrons sortir de ces crises.
Image by Barabeke, “Venice Through the Looking Glass” sous licence CC BY-NC-SA 2.0. Disponible sur OpenVerse..

Pendant que la ConfĂ©rence de l’ONU sur la biodiversitĂ© (COP15) battait son plein Ă  MontrĂ©al ces derniĂšres semaines, Le naufrage de Venise d’Isabelle Autissier a attirĂ© mon attention.

En nous mettant aux premiĂšres loges de l’anĂ©antissement de la SĂ©rĂ©nissime, ce roman ne peut qu’éveiller les consciences environnementales. Une tempĂȘte s’abat sur la ville, les digues cĂšdent et, par un effet domino, les palais s’effondrent les uns aprĂšs les autres. La scĂšne est campĂ©e. Et pourtant, depuis des lustres, les signes avant-coureurs Ă©taient lĂ  : les infrastructures municipales avaient Ă©tĂ© malmenĂ©es par les gigantesques bateaux de croisiĂšre, la lagune et sa biodiversitĂ©, elles, dĂ©truites par les exploitations pĂ©troliĂšres du siĂšcle dernier.

Bref, Venise est l’exemple du dĂ©veloppement touristique et industriel dĂ©bridĂ© qui ne se soucie ni de la biodiversitĂ© ni des populations locales. Pour justifier ce dĂ©veloppement, les arguments Ă©conomiques aux courtes visĂ©es ont Ă©tĂ© avancĂ©s et entĂ©rinĂ©s. Isabelle Autissier souligne les investissements « Ă  court terme pour faire venir le plus de personnes possible, alors que la ville en crĂšve dĂ©jĂ . »

« C’est le contraire qu’il faut faire », Ă©crit-elle encore : « limiter cet afflux inutile, Ă©carter les vitesses de circulation, restaurer les zones humides, traiter les pollutions. Au lieu d’emplois de pacotille, miser sur un dĂ©veloppement endogĂšne de Venise, en faire une citĂ© vĂ©ritablement des arts et de la connaissance, un centre universitaire mondial pour Ă©tudier les effets de la montĂ©e des eaux » sur la biodiversitĂ© et consĂ©quemment, sur la population.

Destruction du monde

Nous roulons Ă  tombeau ouvert vers la destruction de la biodiversitĂ©, vers notre propre destruction. Ainsi, si nous continuons Ă  croire que nous sommes des Merlin l’enchanteur ayant pour principale boussole le dĂ©veloppement Ă©conomique, nous courons inĂ©vitablement Ă  notre perte. Comme le disait le SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations unies : « Il n’y a pas de planĂšte B. C’est Ă  nous de rĂ©parer le monde que nous avons. »

Message que portent aussi les leaders des populations autochtones en prÎnant une vision à long terme : sans protection de la terre mÚre, sans préservation de la biodiversité, nous courons aveuglément à notre anéantissement.

Capitalisme et néolibéralisme

Mais quelle est la source de cette vision mercantile du monde, devenue apocalyptique, qui fait non seulement fi de la biodiversitĂ©, mais Ă©galement des droits de la personne? Le capitalisme et le nĂ©olibĂ©ralisme exigent une croissance Ă©conomique constante, dont bĂ©nĂ©ficient les privilĂ©gié·es qui ne reprĂ©sentent qu’une infime partie de la population et s’enrichissent au dĂ©triment de la majoritĂ©.

Le capitalisme et l’esclavage font bon mĂ©nage, comme l’a soulignĂ© l’historien Edward E. Baptist, professeur Ă  l’UniversitĂ© Cornell dans son livre The Half Has Never Been Told : Slavery and the Making of American Capitalism.

Il a constatĂ© que la richesse des États-Unis est intimement liĂ©e au travail des esclaves et Ă  l’industrialisation du pays. L’expansion de l’esclavage converge avec l’expansion du capitalisme. L’esclavage a Ă©tĂ© profitable tant pour les Blancs du Nord que pour ceux du Sud. Pour lui, l’esclavage a « tuĂ© des gens, en grand nombre », les a fait « vivre dans la terreur et la faim » et « a tout volĂ© » aux survivant·es.

Pour sa part, Françoise VergĂšs, dans Une thĂ©orie fĂ©ministe de la violence, souligne que le capitalisme nĂ©olibĂ©ral, liĂ© au patriarcat, a gĂ©nĂ©rĂ© son lot de « violences discrĂštes, mais rĂ©elles : Ă©puisements des corps, de la terre et des mers pour faire des profits; rĂ©duction draconienne de l’espĂ©rance de vie pour les plus fragiles. Ce tournant patriarcal et nĂ©oconservateur est d’autant plus violent qu’il s’appuie le plus souvent sur un capitalisme racial. »

Aujourd’hui, certains subissent encore l’esclavage et le tĂ©lĂ©phone portable n’y est pas Ă©tranger.La (RDC) est responsable de 60 % de la production mondiale de cobalt. Ce minerai est un Ă©lĂ©ment essentiel de la batterie rechargeable du tĂ©lĂ©phone portable. Ce sont plus de 40 000 enfants qui l’arrachent des entrailles de la Terre. Les sociĂ©tĂ©s chinoises qui contrĂŽlent 75 % du marchĂ© du cobalt planĂ©taire.

C’est la poursuite des frais d’exploitation les plus bas, capitalisme oblige, qui transforme des enfants en . Leur futur s’annonce des plus sombres : la demande mondiale de cobalt ne fera que croütre.

Tout est lié

Le Guardian qu’une lettre signĂ©e par d’éminents chercheurs demande que « les Parties Ă  la COP15 doivent s’engager Ă  stopper et Ă  commencer Ă  inverser la perte de biodiversitĂ© d’ici 2030, pour nous mettre sur la voie d’un rĂ©tablissement oĂč les Ă©cosystĂšmes peuvent fournir les fonctions dont les gens ont besoin ».Tout est donc liĂ© : les droits de la personne, le respect de la biodiversitĂ©, le respect des droits des plus vulnĂ©rables.

Une vision holistique du monde s’impose Ă  nous et il y a urgence! Seulement ainsi pourrons-nous affronter les multiples crises, sociales et environnementales, auxquelles nous faisons tou·tes face.


Me Tamara Thermitus Ad. E.

Me Thermitus est chercheuse invitĂ©e au Centre des droits de la personne et du pluralisme juridique de l'UniversitĂ© ÎÛÎÛČĘĘźÊÓÆ”. Admise au Barreau du QuĂ©bec en 1988, elle est titulaire d'une maĂźtrise en droit (2013) de l'UniversitĂ© ÎÛÎÛČĘĘźÊÓÆ” axĂ©e sur la thĂ©orie critique de la race et les droits de la personne. Elle a Ă©tĂ© directrice des politiques et de la planification stratĂ©gique au Bureau des pensionnats indiens (2004-2006). En tant que nĂ©gociatrice en chef du gouvernement fĂ©dĂ©ral, elle a nĂ©gociĂ© le mandat de la Commission de vĂ©ritĂ© et de rĂ©conciliation. Pendant prĂšs de 25 ans, elle a Ă©tĂ© avocate plaidante au Bureau rĂ©gional du QuĂ©bec de Justice Canada.

Tout au long de sa carriĂšre, Me Thermitus s'est engagĂ©e Ă  lutter contre les discriminations. AprĂšs avoir Ă©tĂ© prĂ©sidente du ComitĂ© consultatif sur les minoritĂ©s visibles du ministĂšre fĂ©dĂ©ral de la Justice , de 2004 Ă  2010, elle a Ă©tĂ© prĂ©sidente du ComitĂ© sur les communautĂ©s culturelles du Barreau du QuĂ©bec. À ce titre, elle a Ă©tĂ© parmi les premiĂšres Ă  sensibiliser les instances du Barreau aux questions relatives Ă  la discrimination raciale dans la profession et le systĂšme judiciaire au QuĂ©bec. Elle a dirigĂ© la rĂ©daction de plusieurs mĂ©moires sur le profilage racial et la discrimination raciale. Elle a Ă©galement Ă©tĂ© l’instigatrice du cours sur le contexte social du droit pour l'École du Barreau.

En plus d'ĂȘtre confĂ©renciĂšre sur les questions de discrimination raciale, depuis juin 2020, Me Thermitus utilise sa plume pour Ă©duquer les Canadiens et les QuĂ©bĂ©cois sur des questions telles que le racisme systĂ©mique, l'intersectionnalitĂ©, la rĂ©conciliation et la violence Ă  l'Ă©gard des femmes.RĂ©cipiendaire de la MĂ©daille du jubilĂ© de la Reine Elizabeth (2012), Me Thermitus Ad.E. (Advocatus Emeritus) a reçu de nombreux prix dont le MĂ©rite du Barreau du QuĂ©bec (2011), elle est la premiĂšre avocate noire Ă  recevoir une telle reconnaissance. Elle a Ă©galement reçu le Prix du leadership en matiĂšre d'Ă©quitĂ© en emploi et de diversitĂ© (ministĂšre de la Justice, 2010 et 2016).

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