Le Dr Kamil Nasr avait huit ans, en 1948, lorsque ses parents ont quittĂ© leur maison d’HaĂŻfa pour se rĂ©fugier en Égypte, oĂą sa mère avait de la famille. Mais l’ophtalmologue n’a jamais oubliĂ© ni sa Palestine natale, ni l’Égypte oĂą il a vĂ©cu 10 ans, ni le Liban oĂą il a fait ses Ă©tudes de mĂ©decine. Â
«  Je veux soutenir la prochaine gĂ©nĂ©ration d’ophtalmologues issus des rĂ©gions oĂą j’ai vĂ©cu et grandi  », explique le mĂ©decin, qui a enseignĂ© Ă l’UniversitĂ© ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ pendant 35 ans tout en pratiquant la chirurgie ophtalmique Ă l’HĂ´pital gĂ©nĂ©ral de MontrĂ©al du Centre universitaire de santĂ© ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ et Ă l’HĂ´pital Reddy Memorial. Â
C’est pourquoi il a crĂ©Ă© en 2021 une bourse de maĂ®trise portant son nom au DĂ©partement d’ophtalmologie et des sciences de la vision de la FacultĂ© de mĂ©decine et des sciences de la santĂ© de l’UniversitĂ© ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ. La Bourse Dr Kamil Nasr sera attribuĂ©e sur la base du mĂ©rite Ă des Ă©tudiants et Ă©tudiantes en maĂ®trise, en privilĂ©giant les personnes originaires de la mĂŞme rĂ©gion dĂ©chirĂ©e oĂą il a vĂ©cu sa jeunesse.  Â
«  Nous espĂ©rons pouvoir remettre une première bourse de 10  000  dollars cet automne.  »Â
La mĂ©decine dans l’œilÂ
Le Dr Nasr raconte ĂŞtre arrivĂ© Ă ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ un peu par hasard, en 1967. Après ses Ă©tudes de mĂ©decine Ă l’UniversitĂ© Saint-Joseph, Ă Beyrouth, affiliĂ©e Ă l’UniversitĂ© de Lyon, il postule pour faire sa spĂ©cialitĂ© en ophtalmologie Ă ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ et Ă l’UniversitĂ© de MontrĂ©al. C’est finalement ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ qui retient sa candidature. «  En Palestine, mon père avait Ă©tĂ© juge Ă la cour d’Angleterre, alors nous avions le passeport britannique, mais mon anglais n’était pas terrible.  » Â
Plusieurs raisons ont prĂ©sidĂ© Ă son choix de spĂ©cialité : la mĂ©decine de l’œil. «  Enfant, je rĂ©parais des montres, et j’étais attirĂ© par ce qui est minuscule et qui demande de la minutie. J’y voyais aussi une spĂ©cialitĂ© Ă©lĂ©gante, avec peu de sang et d’urgences.  » Â
Il explique que la chirurgie de l’œil est sans doute l’un des champs de la chirurgie ayant le plus Ă©voluĂ©. «  En 1967, c’était l’âge de pierre. Pour une cataracte, on coupait l’œil, on retirait tout le cristallin et on suturait au fil. Le patient devait rester immobilisĂ© une semaine, la tĂŞte entre deux sacs de sable. Les complications Ă©taient nombreuses et le patient, qui n’avait plus de cristallin, devait porter des lunettes Ă©paisses comme des fonds de bouteille pour le reste de sa vie. De nos jours, on place un implant, le patient n’a souvent plus besoin de lunettes, et on voit maintenant des progrès Ă©normes dans le traitement d’autres maladies, comme la dĂ©gĂ©nĂ©rescence maculaire, c’est fantastique.  » Â
«  J’étais arrivĂ© Ă MontrĂ©al dans une pĂ©riode formidable, l’annĂ©e de l’Expo 67, et je m’étais bien acclimatĂ© Ă la vie quĂ©bĂ©coise. Je dirais mĂŞme que je m’étais Ă©mancipĂ© des conventions culturelles moyen-orientales, notamment quant aux convenances et Ă l’enfermement dans la famille.  » En 1973, il retourne Ă Beyrouth pour y ouvrir sa pratique, mais ce projet ne fait pas long feu. Puis en 1975 surviennent «  les Troubles  », première phase de la guerre du Liban. «  Il y avait des blocus partout, des incendies, les conditions de pratiques devenaient difficiles.  » Â
Il revient donc au Canada cette annĂ©e-lĂ , passe l’examen pour obtenir son permis de pratique et dĂ©bute Ă ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ et dans les hĂ´pitaux montrĂ©alais. Il ne quittera l’UniversitĂ© ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ qu’en 2010 «  pour cĂ©der ma place Ă un jeune candidat fantastique, spĂ©cialiste du glaucome, qui avait besoin d’un poste, alors que moi, je n’opĂ©rais plus.  »Â
En 2014, il prend dĂ©finitivement sa retraite professionnelle, et depuis 10  ans, il apprend l’italien et voyage. Â
Son condo de l’île des SĹ“urs, Ă MontrĂ©al, est rempli d’œuvres d’art et de portraits de ses parents et de sa sĹ“ur, qu’il avait fait venir au Canada et qui sont dĂ©cĂ©dĂ©s depuis, et de son oncle maternel, Maximos V. Hakim, patriarche melchite catholique d’Antioche de 1967 Ă 2000.Â
«  Un sacrĂ© personnage  », se rappelle le Dr Nasr, lui-mĂŞme de confession catholique grecque (melchite), et qui accompagnait son oncle Ă chacun de ses dĂ©placements au Canada. «  C’était des visites d’État et il Ă©tait reçu par le premier ministre et le gouverneur gĂ©nĂ©ral.  »Â
Kamil Nasr ne cache pas que la fuite de Palestine de sa famille a laissĂ© de profondes cicatrices. «  L’exode se voulait temporaire, mais après un an, mes parents m’ont placĂ© chez les JĂ©suites du Caire. Mon père, qui avait 48  ans, a pu se recaser comme conseiller juridique de l’ambassade britannique au Caire, mais sa carrière de juge Ă©tait brisĂ©e.  »Â
En 2021, l’UniversitĂ© ÎŰÎ۲ÝÝ®ĘÓƵ l’a approchĂ© pour solliciter un don en l’informant de l’existence d’un programme, la Fiducie de recherche Martlet, par laquelle l’établissement s’engageait Ă doubler sa mise jusqu’à concurrence de 125  000  dollars. Â
Le Dr Nasr a donc saisi l’occasion et réuni les fonds. «  À cette étape de ma vie, il m’est très important de contribuer à l’avancement des soins ophtalmiques.  » Ce faisant, il s’est joint au groupe grandissant de donateurs, diplômés et anciens membres du corps professoral qui apportent leur soutien financier au Département d’ophtalmologie et des sciences de la vision. «  Ce qui me plaît particulièrement, c’est que cette bourse portant mon nom sera versée à perpétuité.  »