Des protéines de signalisation du cerveau en action
Une nouvelle étude sur les récepteurs des neurotransmetteurs cérébraux a des répercussions sur la découverte de médicaments
Selon une nouvelle étude, des mouvements étonnamment complexes dans un important récepteur de neurotransmetteurs pourraient expliquer la réponse imprévisible du cerveau aux médicaments. Les résultats de travaux menés par une équipe internationale et publiés cette semaine dans la revue Neuron révèlent que les protéines de signalisation au repos sont beaucoup plus dynamiques qu’on pouvait le penser.
Dans le cerveau, la plupart des cibles thérapeutiques sont des protéines de signalisation qui se dérèglent dans les maladies du système nerveux central, comme l’autisme dans l’enfance, la schizophrénie à l’adolescence ou la maladie d’Alzheimer chez les personnes âgées. Le but d’un traitement médicamenteux est de corriger le comportement inapproprié de ces protéines et de rétablir le fonctionnement normal du cerveau.
Déterminer correctement les cibles thérapeutiques est un défi de taille pour la médecine moderne. Malgré tout le temps, l’argent et les efforts qui ont été consacrés depuis des années au développement de médicaments pour soigner les maladies neurologiques, le taux d’échec a été considérable. « Ces échecs découlent principalement du manque d’efficacité des médicaments et des effets non ciblés », explique le professeur Derek Bowie, du Département de pharmacologie et de thérapeutique de la ¹ó²¹³¦³Ü±ô³Ùé de médecine de l’Université ÎÛÎÛ²ÝÝ®ÊÓƵ, l’un des auteurs principaux de l’article. « Ces résultats en particulier ont remis en question la validité des stratégies déployées par les pharmacologues pour identifier et cibler les protéines de signalisation. On sous-estime le fait que les principes fondamentaux du ciblage thérapeutique pourraient être erronés. »
Une découverte fascinante, mais inattendue
Grâce aux efforts concertés de scientifiques de l’Université ÎÛÎÛ²ÝÝ®ÊÓƵ, de l’Université de Cambridge, de l’Université de Copenhague et de l’Université pontificale catholique du Chili, des chercheurs ont découvert une importante propriété d’un récepteur ionotropique au glutamate (iGluR), une protéine qui, selon eux, aura des répercussions importantes sur la recherche biomédicale et le développement des médicaments de l’avenir.
Bien que les concepteurs de médicaments ciblent traditionnellement les protéines dans leur état actif, les chercheurs ont découvert que les iGluR au repos sont très mobiles et dynamiques, ce qui change radicalement leur réaction aux médicaments. « Plus important encore, ce comportement est régulé par nos gènes qui agissent comme un interrupteur général pour activer l’effet du médicament ou pour le désactiver complètement », précise le Pr Bowie.
Bien que les iGluR soient une cible thérapeutique majeure depuis des décennies, peu de médicaments qui les ciblent ont atteint le stade clinique pour le traitement des maladies neurologiques. « Nos récentes découvertes introduisent une nouvelle complexité dans notre compréhension des iGluR, qui pourrait expliquer les déceptions passées tout en nous éclairant sur la meilleure manière d’aller de l’avant », ajoute le Pr Bowie.
Une série d’heureux hasards
La découverte s’est faite de manière fortuite, à la suite d’une discussion inopinée entre le Pr Bowie et la Pre Jette Sandholm Kastrup à Copenhague en 2013. « Notre collaboration a commencé au symposium Benzon à Copenhague quand le Pr Bowie et moi avons abordé l’idée que les récepteurs AMPA – le type de récepteurs le plus courant dans le système nerveux – pourraient être modulés par des anions », rapporte la Pre Kastrup, de l’Université de Copenhague, co-auteure principale de l’étude. À ce moment, nous n’imaginions pas que cette collaboration en viendrait à allier les efforts de quatre universités. Notre travail, qui utilise la cristallographie aux rayons X, nous permet de localiser le site de liaison anionique dans la structure atomique du récepteur AMPA. »
La Pre Kastrup pensait que ce nouveau récepteur ionotropique au glutamate de type AMPA cristallisé, mis au point par son laboratoire, pouvait contribuer à faire la lumière sur une observation faite par le Pr Bowie en 2002. Dès le retour du Pr Bowie à ÎÛÎÛ²ÝÝ®ÊÓƵ, l’équipe de son laboratoire s’est servi de la structure cristallisée pour établir qu’un seul acide aminé détermine si différentes isoformes génétiques du même récepteur AMPA sont soit totalement régulées, soit aucunement régulées.
L’autre percée a été faite encore par hasard quand le Pr Bowie s’est rendu à Cambridge en 2015 et a rencontré le Pr Mike Edwardson, qui travaillait avec le Pr Nelson Barrera de l’Université pontificale catholique du Chili pour utiliser la microscopie à force atomique afin d’étudier le mouvement des protéines en temps réel. Le Pr Bowie a partagé certaines données non publiées, et le Pr Edwardson a accepté de faire quelques expériences. « À notre grande surprise, nous avons découvert que le principal acide aminé qui conférait différentes propriétés sur le même récepteur AMPA était le résultat de changements dans la mobilité ou le mouvement (à l’échelle nanométrique) des protéines au repos ou à l’état apo », explique le Pr Edwardson, titulaire de la chaire Sheild de pharmacologie à l’Université de Cambridge et auteur principal de l’article.
L’impact de ces constatations suscite beaucoup d’intérêt pour plusieurs autres protéines de signalisation à l’intérieur et à l’extérieur du cerveau. Ainsi, l’étude a mis au jour un important aspect de la biologie qui risque d’avoir une incidence sur le développement des médicaments dans l’avenir. « Je ne saurais trop souligner à quel point cette découverte était inattendue pour nous, du fait que la presque totalité du domaine a négligé l’idée que la protéine au repos pouvait avoir une dynamique complexe, souligne le Pr Bowie. Cette omission peut aussi s’étendre à presque toute la recherche biomédicale sur les protéines de signalisation, qui reposait jusqu’ici sur l’hypothèse que seule la forme active de la protéine vaut la peine d’être étudiée, et non la protéine dans son état apo ou au repos. Notre étude montre qu’une hypothèse doit parfois être révisée, ce qui ouvre un tout nouveau champ d’études qui pourrait avoir une incidence sur d’autres secteurs de recherche, comme le cancer ou la cardiopathie, en plus de nos découvertes sur un important récepteur de neurotransmetteur du cerveau. »
L’article « Nanoscale mobility of the apo state and TARP stoichiometry dictate the gating behavior of alternatively-spliced AMPA receptors », par G. Brent Dawe et al., a été publié en ligne dans la revue Neuron le 30 avril 2019.
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